Tallien dans son rapport pour la Convention :
"Le point du jour nous trouva en présence du fort Penthièvre ; notre centre fut reconnu le premier et commença l’attaque ; pendant ce temps les colonnes latérales s’avancent en silence vers les points qui leur sont indiqués. Bientôt elles sont aperçues par les chaloupes canonnières anglaises qui bordaient le rivage et dans les eaux desquelles nos soldats étaient obligés de passer jusqu’à la ceinture. Ces intrépides soldats, ils n’avaient de moyens de défense que dans leur courage ; tout le succès de cette affaire avait été confié à leurs baïonnettes, on n’avait pas même une pièce de canon et l’humidité avait rendu leurs fusils des armes inutiles : foudroyés de front par les batteries du fort, sur les flancs par les chaloupes et les frégates anglaises, les troupes s’étonnent un instant et font un mouvement rétrograde ; l’instant d’après elles sont ralliées ; mais il n’était plus temps, l’entreprise paraissait manquée et la plus grande partie d’entre elles reprenait tristement le chemin de ses lignes. Tout à coup un bruit sourd se fait entendre : une colonne des nôtres a pénétré, se disaient les soldats ; je lève les yeux vers le fort et je ne vois plus flotter l’étendard des rebelles, le drapeau tricolore l’avait remplacé.
Citoyens, le fort était à nous à travers les flots d’une mer mugissante, sous le feu meurtrier de la mitraille anglaise. L’intrépide Ménage à la tête de ses deux cents braves, s’était glissé de rocher en rocher jusqu’au pied du roc de la forteresse, l’avait gravi et se précipitant le sabre à la main dans l’intérieur, avait exterminé tous ceux qui avaient résisté.
Nous étions maîtres du fort et les canonniers ennemis, composés de Toulonnais rebelles et fugitifs à l’époque de la reprise de ce fort, tiraient encore sur nos troupes.
Cet exploit eût suffi, sans doute, à d’autres qu’à des français ; mais pour eux et le général qui les commandait, ce n’était que le premier pas dans la carrière, et ils avaient juré d’en parcourir toute l’étendue, et d’exterminer dans cette journée toute l’armée royaliste.
Deux bataillons restent pour la garde du fort ; le reste de l’armée s’élance dans la presqu’isle, sur les traces du général et des représentants du peuple ; en un clin d’œil elle a parcouru cette presqu’Isle d’une lieue et demie de profondeur : tous les hameaux, toutes les maisons en sont fouillées avec soin. L’ennemi, débusqué partout, se rend ou fuit à vau-de-route ; quelques uns des siens se rallient sur une hauteur et font mine de résister. Un léger combat s’engage entre eux et nos tirailleurs ; mais l’aspect de deux colonnes qui vont les envelopper éteint ce léger effort de courage : ils fuient, et se hâtent de rejoindre les compagnons de leur honte et de leur félonie.
Chassés comme un vil troupeau, ils se réunissent tous sur le rocher, au bord de la mer, à l’extrémité de la presqu’isle. C’est à ce rocher que vient se briser leur fol orgueil, leurs espérances parricides, leur audace extravagante ; en vain cherchent-ils à retarder le coup qui doit les frapper ; en vain nous envoient-ils plusieurs parlementaires pour obtenir quelques conditions.
On arrive à Quiberon par une langue de terre sablonneuse nommée la Falaise, qui peut avoir une lieue dans la plus grande largeur, et vient en s’étrécissant jusques à l’entrée de la presqu’isle où elle n’a plus que 30 toises (*1 toise=1.80 m). Cette entrée est hermétiquement fermée par le fort Penthièvre, qu’une lâche capitulation avait mis au pouvoir de l’ennemi ; notre camp appuyé sur ces deux ailes à la mer, était fixé sur la Falaise, à une lieue et demie du fort, en avant du petit village de Sainte Barbe ; le gros de la flotte anglaise mouillait à sa gauche, plusieurs bâtiments occupaient sans cesse la droite, et il n’y avait pas de jour que des chaloupes canonnières de l’ennemi ne s’avançassent, jusqu’à la portée du fusil, du rivage.
C’eut été compromettre le dignité de nos armes que d’attaquer le repaire de ces brigands suivant les règles de l’art ; c’eut été leur ménager la possibilité d’une fuite qui en eut soustrait la plus grande partie à la vengeance nationale ; et il fallait à la vengeance nationale un exemple terrible qui effrayât quiconque serait tenter de les imiter. L’âme de mon collègue (Blad), celle du général (Hoche) et la mienne ne formaient, à cet égard, qu’un même vœu ; il était conforme à celui de l’armée qui chaque jour demandait à grands cris qu’on la conduisit à l’ennemi, que l’on fit une attaque de vive force.
Il fut ordonné à une colonne d’élite, commandée par l’adjudant général Ménage, de filer par la droite, le long de la mer, jusqu’au pied du fort, de l’escalader et de s’en emparer. Une autre colonne, aux ordres du général Valteau, fut chargée d’attaquer de front ; et une troisième, conduite par les généraux Humbert et Botta, après avoir suivi par la gauche la lesse (*laisse, trace laissée par l’océan entre deux marées) de basse-mer jusqu’au fort, fut destinée en partie à le tourner, à venir l’escalader par la gorge, et à se porter au village de Kérostin, pour s’opposer aux mouvements que pourraient faire les troupes ennemies cantonnées dans la presqu’Isle.
D’après ces dispositions, l’attaque devait être exécutée dès la nuit du premier au 2 thermidor ; elle ne put l’être que la nuit suivante. Les troupes se mettent en marche à onze heures du soir, au nombre de deux mille hommes : un orage affreux éclatait alors dans ces parages ; la pluie tombait à grands flots ; un vent froid et impétueux la jetait aux yeux du soldat, et lui ôtait la faculté de se diriger. Errantes sur cette vaste mer de sable, sans aucun signe qui puisse guider leur marche, nos colonnes se heurtent, se rompent et se confondent, et n’offrent plus qu’un chaos qui semble impossible à débrouiller ; il fallait, pour y parvenir, toute l’activité, tout le sang froid du général. A travers les ténèbres les plus épaisses, il reconnaît les chefs, distingue les différents corps, rectifie les erreurs, supplée par de nouveaux ordres à ceux qu’il est impossible de remplir, excite, presse, encourage et réussit enfin à rendre chacun à son poste et à sa destination.
Quelle relation pouvait exister entre nous et ces rebelles ? Qu’y avait-il de commun entre nous, que la vengeance et la mort. La charge bat à coups redoublés par ordre du général. L’escadre anglaise, au nombre de 154 voiles, tâche en vain d’en imposer à nos troupes par un feu terrible et non interrompu. Les boulets, la mitraille pleuvent sur nos colonnes : mais rien ne peut arrêter les républicains.
Sept cents grenadiers fondent avec impétuosité sur le rocher, la baïonnette en avant. Les vaincus jettent des cris de désespoir, ils demandent à se rendre, le général leur envoie l’ordre de mettre bas les armes, et de faire cesser le feu des anglais. « Eh ! s’écrièrent ils, ne voyez-vous pas qu’ils tirent sur nous comme sur vous ? ». Cependant le général s’aperçoit qu’on profite du moment de répit qu’il a bien voulu donner, pour faire quelques embarcations. A l’instant, deux pièces de canon sont traînées sur le bord de la mer et une vingtaine de coups à mitraille empêchent les bâtiments de revenir. Ce moment fut le terme fatal pour le châtiment de tant de crimes et de trahisons. Tout ce que Isle contenait d’ennemis vint mettre bas les armes, et se rendre à discrétion. Quel spectacle pour la France, pour l’Europe, pour le monde entier, que les émigrés si fiers déposant, humblement leurs armes entre les mains de nos volontaires ; les remerciant avec des larmes de honte et de remords, de ces sentiments de générosité si communs chez les Français, et que les belles âmes éprouvèrent toujours au feu de la victoire ; suivant les vainqueurs en vomissant des imprécations contre l’étranger perfide, dont les funestes secours les ont rendu tout-à-la-fois les plus coupables et les plus malheureux des hommes. Ils disaient : « Les puissances étrangères nous ont toujours trompés. Elles nous donnent encore en ce moment, par leur lâche abandon, une preuve de leur attachement ».
Nota : Des voyageurs qui ont passé par Quiberon rapportent le même fait ; disons plus la même horreur : et ils ajoutent que les anglais ont même remis à terre, après notre victoire, une partie de ceux qui s’étaient rembarqués. Si le gouvernement anglais est l’espoir et le recours des traîtres, ils peuvent voir par là comme ils sont récompensés." Tallien
La Feuille nantaise, juillet 1795
Avec quelques rares rescapés de l’assaut des Bleus dans Fort Penthièvre, le commandant Antoine de Testas de Folmont put se sauver en sautant du haut des remparts. Il sera fusillé à Vannes le 2 août.
21 JUILLET, PORT HALIGUEN, Quiberon, 21 juillet.
Le général Hoche au Comité de Salut public : « Le 21, 2 heures du matin, le Fort Penthièvre et le camp retranché de la Presqu’Île de Quiberon ont été attaqués par trois mille hommes du camp de Saint Barbe qui après une heure de combat s’en sont emparés de vive force. Les attaques étaient menées par les généraux Humbert, Valletaux et Botta lequel a eu un pied emporté par un biscayen. Ménage, avec moins de trois cents hommes, bravant le feu du Fort, celui des chaloupes canonnières et les flots de la mer qui montait et était très mauvaise en ce moment, a gravi les rochers de la pointe de l’Ouest et a favorisé l’attaque de front du général Valletaux. Bientôt nos troupes ont été à la poursuite de l’ennemi et la présence de deux mille hommes a fait mettre bas les armes aux régiments D’Hervilly et D’Hector. Cinq régiments débarqués le 19 juillet savoir : Damas, Béon, Rohan, Salm et Périgord formant la Division du comte Charles de Sombreuil, Royal Emigrant et les Chouans ont fait mine de vouloir se défendre en se retirant du côté du port où ils devaient se rembarquer. Les têtes des colonnes ont été dirigées sur ces rebelles et 700 grenadiers les tenant en échec les ont contraints d’imiter leurs camarades ; ce qu’ils firent n’ayant d’autre espoir que de se jeter à la mer ou d’être passés au fil de la baïonnette.
Et là, sur un rocher, en présence de l’escadre anglaise qui tirait sur nous, furent pris l’Etat-major à la tête duquel était Sombreuil, les chefs de corps, officiers d’artillerie et du Génie.
Nos troupes étaient sur pied depuis 10 heures, elles firent halte en ce moment seulement à six heures du matin.
Je ne puis encore dire au juste ce qui a été trouvé dans Quiberon : on m’a parlé de soixante dix mille fusils, cent cinquante mille paires de souliers, des magasins immenses de vivres, munitions, effets d’habillement, équipements et armements. Monsieur de Puisaye s’est embarque au premier coup de canon ».
D'Hervilly atteint par un biscayen en pleine poitrine est embarqué à bord de La Pomone pour être rapatrié en Angleterre. Non blessé, le comte Joseph de Puysaie prétextera d'une visite de vérification pour embarquer ses papiers et rentrera en Angleterre.
A terre restent :
- le marquis de Sombreuil, capitaine de Hussards, débarqué depuis peu à la tête de ses 1500 hommes de la deuxième Division le 19 juillet, jour où commença la Bataille de Quiberon et qui se retrouve en la charge de Général d'armée. C'est lui qui va payer les pots cassés après le départ des responsables : D'Hervilly blessé et Puisaye le fuyard.
- Monseigneur Urbain-René de Hercé qui a refusé de rembarquer pour rester près de ses "Compagnons d'infortune, ses bons prêtres, ses fidèles amis et les malades qui sont parmi nous". "Jusqu'à mon dernier soupir, je leur donnerai les consolations de l'Eglise et les secours spirituels" (voir article très complet dans La Revue N° 40 de décembre 2015).
- Tous ceux qui font confiance en la parole du vainqueur. Depuis qu'ils ont quitté le Royaume de France, ils ne savent pas que, après une bataille, ce ne sont plus les Chefs militaires qui commandent mais les Commissaires politiques de la république, à l'époque les Représentants en mission de la Convention Blad, Tallien, Rouget !
C’est ce 21 juillet à six heures du matin, à cet endroit précis, que se situe l’épisode fameux de Gesril du Papeu.
Joseph, François, Anne, Gesril du Papeu, né le 23 février 1767 à Saint Malo, est l’aîné d’une famille de cinq enfants.
En ce 21 juillet il y a discussion entre Charles de Sombreuil et Hoche sous le tir des canons anglais qui touchent les Bleus mais aussi les Chouans et les Emigrés bloqués là à Port Haliguen. Lieutenant de vaisseau, Joseph Gesril du Papeu a débarqué comme Lieutenant du Régiment d’Hector. La situation est dangereuse pour tous et Hoche demande à Sombreuil qu’un volontaire rejoigne la flotte anglaise et faire cesser les tirs, promettant de revenir une fois la mission accomplie. Joseph du Papeu effectue le trajet à la nage, fait cesser le feu des canons, refuse d’être hissé à bord : « Je suis prisonnier sur parole » et rejoint la terre ferme. Il sera fusillé à Vannes le 27 août ; il avait 28 ans et 6 mois.
S’il n’y avait pas eu accord de capitulation, Joseph Gesril du Papeu serait-il revenu pour honorer la parole donnée ?
Les prisonniers sont ensuite emmenés à Auray où ils vont être emprisonnés, vingt cinq kilomètres à pied, sous un temps épouvantable, pour des personnes qui ont le ventre vide depuis des heures et peu d'heures de sommeil. Monseigneur de Hercé est debout depuis deux heures du matin (d'après le témoignage de Villeneuve de La Roche Barnaud).
Peu de gardiens pour un grand troupeau de plusieurs milliers de prisonniers, des encouragements à fuir : il est possible de voir là une preuve d'une confiance en la parole donnée par le général Louis-Lazare Hoche de vie sauve pour ceux qui se rendraient...sauf pour Sombreuil.
Puisaye vogue vers l'Angleterre, D'Hervilly aussi ; il y mourra en novembre (1795).
Pour ceux qui sont restés la destinée va s'accomplir à brève échéance mais ils ne le présagent pas.
Vae Victis (malheur aux vaincus comme disaient les Romains).