Il y a 220 ans, à 17 H, la république débute l'année, à Vannes, par l'exécution d'un prêtre dont le seul tort est de n'avoir pas prêté serment.
Yves Le Manour naquit le 7 mai 1748 au village de Kermérian en Remungol, de Mathurin et d'Yvonne Le Mer. Il fut baptisé le lendemain 8.
Il est ordonné prêtre par Monseigneur Sébastien Michel Amelot le 4 avril 1778 dans l'église du Grand-Séminaire, au Mené, à Vannes. Il est nommé chapelain de Saint-Yvy de Moréac, dont il percevait les (petits) bénéfices depuis qu’il avait reçu les ordres mineurs en 1776. Il va garder cette chapellenie pendant douze ans puis reçoit la cure de Languidic en 1790. C’est là que la révolution le trouve mais ne le séduit pas ; l’abbé Le Manour refuse le serment, de partir en exil et va mener la vie habituelle des réfractaires : caches, complicités des paroissiens, messes dans les bois ou dans les granges, les traques, les peurs, les trahisons, la faim. Rien ne le décourage, il accomplit son ministère sacré : confessions, messes, mariages, baptêmes, extrême-onctions, funérailles.
Par une chance inouïe, due à la Divine protection, il échappe à la Terreur, trouve un peu de repos lors de la réaction thermidorienne, repos hélas ! qui trouve sa fin avec l’arrivée du Directoire (26 octobre 1795). Dès novembre, pour échapper à la persécution qui se réinstalle, il part pour la presqu’ile de Rhuys et, retrouvant une vie de prêtre traqué, assure son ministère sacerdotal : messes, baptêmes, confessions, mariages, funérailles. Fin novembre il s’embarque pour l’Île aux Moines, dans le Golfe du Morbihan.
Mais cette fois il ne va pas exercer longtemps son ministère. A 11 H du soir, le 5 décembre, en sortant de la maison où il se cachait pour aller visiter un malade, il est interpellé par des marins à la recherche de Chouans. En le fouillant les militaires trouvèrent sur lui tout l’attirail de prêtre : un petit ciboire en argent, une boîte aux Saintes Huiles en plomb, un petit rituel, un martyrologe romain, un bréviaire avec des actes de mariages célébrés par lui. Mieux qu’un Chouan ils avaient trouvé un vil calotin !
Amené à Vannes l’abbé Le Manour est emprisonné au Petit Couvent. Ce lieu n’existe plus et se situe à peu près à l’endroit du Tribunal de Commerce actuel.
Il subit son premier interrogatoire le 6 décembre. Reflexe humain, lui l’homme de bonté et de vérité, fatigué, manquant de sommeil et stressé (comme on dit maintenant) par son arrestation, perdant ses moyens, il se troubla et déclara des choses inexactes ; il affirma avoir émigré avant de revenir, dans son deuxième interrogatoire, sur ses premières déclarations, en disant selon sa propre expression « qu’il avait perdu la tête ».
Le prêtre reprit son ascendant sur l’homme, il contredit ses premières affirmations et, devant ses juges, dont le tribunal se tient dans l’église du Méné (chapelle du Séminaire - lequel est l’actuel Foyer - disparue elle se situait là où se trouve le Monoprix) le 31 décembre 1795, il déclara toute la vérité.
L’abbé Yves Le Manour est jugé coupable d’être réfractaire aux lois de la république, de ne pas être parti en déportation, d’avoir continué à exercer son ministère de prêtre catholique ; en conséquence il est condamné à mort.
« Le Tribunal, après avoir entendu l'interrogatoire subi en sa présence par l'accusé et le commissaire du Directoire exécutif dans les conclusions qu'il a prises pour l’application de la loi, déclare qu'il est constant que Yves Le Manour, prêtre, ci-devant domicilié de la commune de Languidic, département du Morbihan, est convaincu d'être prêtre réfractaire aux lois et comme tel d'avoir été sujet à la déportation et néanmoins d'être resté sur le territoire français, après le délai d'une décade, fixé aux prêtres réfractaire, aux lois, et restés en France pour se présenter auprès de l'Administration de leur département et être déportés.
Lecture faite par le président des articles 10 de la loi du 3 brumaire dernier, des articles 10, 14, 15 et 5 de la loi du 30 du 1er mois de l'an II de la République française desquels articles la teneur suit:
Article 1 de la loi du 3 brumaire an IV.
« Les lois de 1792 et 1793 contre les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion seront exécutées dans les 24 heures de la promulgation du présent décret et les fonctionnaires publics, qui seront convaincus d'en avoir négligé l'exécution, seront condamnés à deux années de détention. Les arrêtés des Comités de la Convention et des Représentants du peuple en mission, contraires à ces lois, sont annulés. »
Articles 10, 14, 15, 5 de la loi du 33 vendémiaire.
Conformément aux dits articles, le Tribunal condamne le dit Yves Le Manour, prêtre réfractaire aux lois et sujet à la déportation, resté sur le territoire français, où il a été saisi et arrêté, à la peine de mort. Ordonne qu'il sera livré à l'exécuteur des jugements criminels et qu'à la diligence du commissaire provisoire du Directoire exécutif près le Tribunal, le présent jugement sera mis à exécution dans les 24 heures sur la place publique de cette commune, sans aucun sursis, recours ou demande en cassation ».
Chesnel, Président ; Fabre, Le Menez, Le Blanc, Mancel, Juges. Lucas fils Accusateur public. Nayl, Commissaire du pouvoir exécutif.
Le 1er janvier 1796, il y a 220 ans, l’abbé Yves Le Manour est guillotiné à 5 heures de l’après-midi, sur la place de la Liberté – actuelle place Maurice Marchais (Hôtel de Ville) – en face de la chapelle Saint Yves, et rend son âme à Dieu qu’il a si bien servi.
Il avait 48 ans.