Un arbre a été déraciné à Bédoin, dans le Vaucluse. La réaction punitive a été immédiate.Il faut punir, la punition sera exemplaire.
Dans la nuit du 1 au 2 mai 1794, l'arbre de la liberté a été arraché, et jeté dans le fossé au pied des remparts de la ville de Bédoin (dans le Vaucluse à une dizaine de kilomètres de Carpentras) dans le "Pré aux Porcs". Le bonnet phrygien qui coiffait cet arbre est jeté dans un puits, les affiches de la Convention sont arrachées, lacérées, piétinées.
Un jeu de rôle avant l'heure ? Des provocateurs qui veulent se venger de ce village, peu enthousiasmé par le bonheur révolutionnaire, surnommé "La Vendée du Midi" ? De farouches contre-révolutionnaires ? Ou un "Ras la casquette" d'un système pourri et persécuteur ?
Pour un arbre la sanction va être démesurée, terrible.
Le lendemain, la Municipalité débute une enquête, sans aucun résultat. Le 4 mai, Agricol Moureau 28 ans, prêtre défroqué, ancien participant aux assassinats de la Tour de la Glacière au Palais des Papes à Avignon (près de 100 massacrés - hommes, femmes ) administrateur du département du Vaucluse et Maignet, représentant en mission de la Convention, qui va mener le travail des révolutionnaires sur le terrain. Ils ordonnent une enquête car ces deux individus qualifient ces actes bénins de crimes horribles demandant un châtiment exemplaire.
Le pouvoir rend fou.
Ils arrêtent les membres de la municipalité et du Comité de surveillance, les nobles, les prêtres (essentiellement réfractaires) et tous les suspects que l'on réunit dans l'église paroissiale. Etrange, personne ne dénonce les coupables ni ne se dénonce de ce "crime".
Maignet décrète que le tribunal criminel doit s'installer dans Bédoin pour juger les faits épouvantables.
"Considérant que la justice ne saurait donner trop d’éclat à la vengeance nationale dans la punition du crime abominable qui s’est commis à Bédoin que ce n’est qu’en frappant sur le lieu même où il a été commis que l’on pourra porter l’épouvante dans l’âme de ceux qui oseraient encore méditer de nouveaux attentats".
Cet arrêté ordonne "que le pays qui a osé renverser le siège auguste de la Liberté est un pays ennemi que le fer et la flamme doivent détruire".
Le Go (agent national) et Suchet (Chef du 4ème Bataillon de l'Ardèche) accompagnés de leurs troupes, s'installent dans le village. Ils perquisitionnent, volent, profanent les objets du culte, la flèche du clocher est renversée. 140 habitants sont emprisonnés
Le 9 mai 1794, le tribunal s'installe dans la commune amenant avec lui la guillotine et trois bourreaux. Au terme du procès, 63 habitants sont condamnés à mort, 10 sont "mis hors la loi", une personne est condamnée aux fers, 13 à la réclusion et une à une année de détention. 52 personnes sont remises en liberté, mais restent soumises à l'arrêté du 6 mai
Le 28 mai 1794, le jugement est rendu sur l'emplacement de l'arbre arraché en présence des habitants, 35 personnes sont guillotinées et 28 fusillées.
Les corps mis à nus (les vêtements sont récupérés par les exécuteurs selon la logique révolutionnaire) sont ensevelis dans une fosse commune. La chapelle de Becarras, sur la route de Flassan a été bâtie sur l'emplacement de la fosse.
Le 3 juin, les soldats du 4e bataillon de l'Ardèche incendient le village.
Trois modérés, André Brun, ancien maire, Louis Abril, procureur, et Pierre-Louis Ripert, ex-curé constitutionnel, sont exécutés le 27 juillet 1794.
A la demande des survivants, le Représentant en mission Jean-Antoine Debry, le 4 mai 1795, un an jour pour jour après ce crime, organise une manifestation de réhabilitation des exécutés ; le village sera reconstruit.
Maignet mourra dans son lit en octobre 1834.
Agricol Moureau, le renégat du sacerdoce, mourra aussi dans son lit en 1842. Gloire à la Convention !!!
Suchet, le Chef du 4ème Bataillon de l'Ardèche finira Maréchal, Duc d'Albufera, Pair de France. Il propose ses services à Maignet, pour exécuter les ordres du Représentant en mission : "Des larmes de joie ont coulé de nos yeux lorsque nous nous sommes dits que c'était un Représentant en mission qui parlait ainsi ". Suchet à la tête de ses troupes, ce mercredi 28 mai, poursuit les habitants de Bédoin, fuyant leurs maisons en flamme, jusqu'au pied des montagnes et les fait sabrer et fusiller.Son sens révolutionnaire, à l'époque, le portait jusqu'à l'exaltation. C'était un franc terroriste, Robespierriste avéré ; prudent il ira se réfugier à Gênes après le 27 juillet 1794 qui voit la chute de Robespierre.
Merci à Jean-Pierre Eysséric pour les clichés