Charles PICHEGRU est mort.
Ce matin, 6 avril 1804 (vendredi de Pâques), Charles Pichegru est retrouvé mort dans sa cellule. La version officielle parle de suicide. Grand soldat, brillant général, d'une force quasi herculéenne, cet homme qui a bravé tous les dangers, sans craindre la mort, aurait craint son procès et la guillotine au point de s'entourer le cou de sa cravate de soie noire, d'y glisser un morceau de bois d'en faire un garrot et d'avoir, par un long mouvement de tourniquet, mis fin à ses jours.
Un suicide par auto-strangulation ?
Il y a des doutes, même aujourd'hui encore, tellement tout semblerait accabler le Premier Consul, Bonaparte (pas encore Napoléon 1er), d'avoir fait assassiner son ancien professeur de géométrie et d'arithmétique à l'Ecole Militaire de Brienne.
Pourtant tous les témoignages de l'époque concordent pour conforter la thèse du suicide. L'ancien Général avait confié à Réal son désir fatal lors de son arrestation le 28 février. Bonaparte n'avait aucun intérêt à le faire assassiner avant son procès, il savait bien que cela semblerait suspect. Le Juge Rigault, lui-même un des juges d'instruction, très critique vis à vis de Bonaparte, est sûr qu'il s'agit d'un suicide.
Napoléon avait déclaré au Conseiller d'Etat, Réal : "Avant de commettre une faute, Pichegru a bien et honorablement servi son pays. Je n'ai pas besoin de son sang ; dites-lui qu'il faut regarder tout ceci comme une bataille perdue. Il ne pourrait rester en France.Pressentez-le pour Cayenne. Il connaît le pays (Pichegru y avait été déporté en 1797 sous le Directoire) ; on pourrait lui faire là une belle position".
Hélas, Réal ne reparut pas assez vite et Pichegru aurait perdu tout espoir. Eviter un procès qui n'aurait pas épargné sa vie glorieuse, qui aurait révélé ses compromissions avec les Emigrés de Coblence - les mêmes qui l'avaient dédaigneusement écarté d'un revers de main alors que, adjudant sous-officier, il leur offrait, dès 1789, ses services - incapables dans leur incurie de pressentir le talent militaire de ce futur officier.
Quoique l'on pense de lui, il restera dans l'Histoire militaire de la France le seul militaire qui a pris la Flotte royale hollandaise avec un escadron de cavalerie. Le Général Pichegru avait appris que la Flotte Hollandaise était bloquée par les glaces sur les côtes du Helder, dans le golfe du Zuiderzee. Il envoya aussitôt le lieutenant-colonel Louis-Joseph Lahure et un escadron du 1er Régiment de Hussards. Bilan: 15 vaisseaux et 850 canons pris à l'ennemi, sans aucune perte !
A-t-il été jaloux de la réussite de Bonaparte qui était moins doué que lui pour l'art militaire, jalousie qui se serait tranforméee en haine ? Rien n'apparaît réellement dans ses interrogatoires. Il a emmené son secret dans la tombe.
Dictant ses Mémoires à Las Cases lors de son séjour forcé sur l'île de Sainte Hélène Napoléon dit : " Tout bonnement Pichegru se vit dans une situation sans ressources, son âme forte ne put envisager l'infâmie du supplice ; il désespéra de ma clémence ou la dédaigna et il se donna la mort".
Georges Cadoudal - son complice dans le complot contre le Premier Consul - dont la cellule était à quelques pas de celle de Pichegru, n'a rien signalé, donc n'a rien entendu ; si, en effet, notre Breton avait entendu des bruits suspects, on est certain qu'il ne serait pas resté inerte !
L'autopsie, qui durera plusieurs heures, ne démontrera aucun hématome signant une lutte, aucune lésion en dehors de celles causées par le garrot à hauteur du larynx, du cou, la face inférieure du cerveau et les deux lobes du poumon gorgés de sang.Et une égratignure sur la joue, là où le garrot s'était bloqué.
Le 7 avril, au soir tombant, il est inhumé dans le cimetière Sainte Catherine (aujourd'hui disparu) dans le carré des suppliciés. Il sera exhumé en août 1865 pour être inhumé dans son village natal d'Arbois qu'il avait quitté, après ses études au collège, pour l’École de Brienne, à l'âge de 18 ans.Il paraît que ces restes ne sont pas les siens, à cause de la différence de chevelure retrouvée sur le squelette. Allez savoir !
Étrange destinée que celle de cet homme, issu de la paysannerie comme Murat, mort à 43 ans
Son nom est gravé sur l'Arc de Triomphe de l’Étoile.