Préambule: Fabre d'Eglantine, le ministre bucolique, aidé
de quelques autres qui comme lui passèrent non pas à la trappe, mais à la lunette (de la guillotine), avait réformé l'antique calendrier grégorien qui,
depuis des siècles, avait fait les preuves de sa fiabilité. Les jours et les mois collaient avec le cycle lunaire et avec la nature. Ces ingénieux avaient mis au point un système permettant de
faire table rase du passé, participant à l'arasement tous azimuts des vestiges de la monarchie . Patatatras ! Quand l'idéologie se mêle de réformer le calendrier, cela finit mal. Le temps est têtu : on
bricolait parfois l'ajout en tas de jours manquant quand il ne fallait pas retirer les excédentaires
!
Ils avaient donc supprimé le nom des jours, supprimé le dimanche et son rôle religieux pour le remplacer par le décadi, en
ajoutant l'option de la guillotine pour les réfractaires au dit décadi. Et chaque jour se trouva affublé d'un nom issu de la nature. Imaginons la tête de celui appelé "Plantoir" (30 ventôse) ou
"Bitume"( 3 nivôse), Fumier (le 8 nivôse). Quelle douceur supposée chez une femme née un 21 frimaire: "Erable sucré" ; qu'attendre d'une femme politique qui serait née le 10 nivôse "Fléau" ou 24
pluviôse "Traînasse" ou 25 ventôse "Thon" ou encore le 18 germinal "Cigüe" ?
Le système durera jusqu'au 22 fructidor An XIII (lendemain de l'Eglantier !) ; Napoléon Ier aura jugé que la
plaisanterie avait assez duré. Tout rentre dans l'ordre le 1er janvier 1806.
Mais combien de citoyens nés le 3 brumaire "Poire" ou le 15 "Dindon" ou le 28 frimaire "Truffe" ?
Bref venons en à ce fameux Verge d'Or An II:
En sa maison des bords de Seine, surmontée d'un télégraphe de Chappe, madame de Staël reçoit un invité.
Auparavant un mot sur cet instrument. Conçu par le cerveau fécond de Claude Chappe né à Brûlon dans la Sarthe (
dans la région où la Chouannerie sera très active), le télégraphe - de Τελε (Télé - fil ) γραφειν (écrire), qui aurait dû plutôt s'appeler téloptique (Οπτειν -
voir) - est l'ancêtre de la télévision et des systèmes électroniques de transmission ; de même que le Tympanon, vu à Versailles, est l'ancêtre de l'ordinateur. Pensé dans un but de distraction au départ, Claude
Chappe va vite se rendre compte de l'exceptionnel avancement pour la science de son idée, inspirée par d'autres certes, mais toute science n'est-elle pas une évolution de la pensée d'un autre ?
Il utilise un système de signaux dont les figures évoquent non des lettres mais des chiffres ; Claude Chappe a inventé le système numérique qui court sous nos claviers d'ordinateurs et résonne à
nos oreilles. Génial !
Par un réseau de tours dispersées sur tout le territoire, ce système, qui paraîtra archaïque aux esprits aigris (24
prairial -Caille-lait) autorise les transmissions d'informations - souvent militaires ou politiques - en un temps réduit (Paris- Strasbourg ou Paris-Brest en 2 heures au lieu de 4 à 5
jours par la route) par des gens formés à la transmission mais ne connaissant absolument rien à la signification des signaux qu'ils transmettent seuls l'expéditeur et le destinataire
connaissant le code de transmission. Ce système perdurera jusqu'à la moitié du XIXème siècle et sera remplacé par le télégraphe et le système "Morse".
Madame de Staël reçoit donc dans son salon littéraire un invité dont on a beaucoup parlé et qui n'est pas
forcément réputé pour sa moralité. On sait que Bertrand Barère de Vieuzac, Conventionnel vertueux et volontiers donneur de leçon (on
l'avait vu avec un ministre du défunt roi), a été largement financé par l'Angleterre de William Pitt ; ce soir il avouera que ce ne fut qu'une faute morale. Madame de Staël le questionnera sur
ses relations politiques, en particulier Robespierre et Danton, qu'il aura trahis. Il n'y a pas eu d'acte prémédité mais des circonstances fâcheuses ; il fallait bien sauver la Révolution. Dans
l'antichambre - on aurait pu dire Régie si le mot n'eut été banni du vocabulaire comme le mot régiment, remplacé par
demi-brigade, car évoquant trop l'ère du despotisme - on entendit Baco de La Chapelle maire de Nantes- appelé aussi le roi Baco
ou le Duc de Nantes - murmurer "sauver ta tête, oui".
Enfin Madame de Staël en vint aux relations que réprouvent la morale lorsqu'elles ont lieu hors mariage.
Ayant sauvé de la guillotine la jeune et jolie Sophie Demailly qui tavaillait en fait pour les Anglais comme le lui avait confirmé Barras, Bertrand
Barère la sauva en arrivant même à supprimer des papiers mis sous scellés. "Cela aurait été une faute de ne pas la sauver". Il ne fit pas l'étalage de ses relations intimes avec la-dite personne
invoquant des circonstances. Il y a longtemps aussi qu'il ne fréquentait plus sa femme.
Madame de Staël évoqua, mais sans forcer, le dîner avec Alexandre de Beauharnais au lendemain duquel ce dernier fut mis
en arrestation et guillotiné peu après. Débarrassé du mari jaloux, sous prétexte de défaite à Mayence, Joséphine était devenue libre. Sans doute indifférente au charme du Conventionnel elle se
retrouva en prison ; elle ne sauva sa tête que de justesse. Barère, peu prolixe, répondit que ce n'était que de fâcheuses coïncidences.
Ainsi se déroula l'entretien entre une sympathique chroniqueuse et l'Anacréon de la guillotine, comme il fut surnommé au
XIX ème siècle.
Jamais sa sulfureuse personnalité ne fut évoquée ; des neuf membres de la commission des Lois de 1791 il est curieux
que six moururent brutalement : Brissot, Pétion, Vergniaud, Danton, Condorcet, Gensonné. Seuls survécurent Siéyès, Thomas Paine -l'américain du groupe jamais naturalisé français - et lui, Barère.
Il est le créateur de La Terreur, parlant de déblayer les prisons poussant Couthon l'infirme à supprimer les interrogatoires, les plaidoiries, les témoins afin de gagner du temps.
Tout cela ne fut pour lui que "faute morale".
Il parla tellement bien qu'il aurait pu être convaincant s'il n'en avait trop fait. Malgré tout il finira par chuter et connaîtra la prison en mars 1795. Condamné à la déportation en Guyane, il s'évadera de
la prison de Saintes, restera caché à Bordeaux. Il rebondira de nouveau quelque soient les régimes. Seule la Restauration l'exilera. Il reviendra dans les bagages de Louis-Philippe et rebondira
encore une fois.
Quand on lit son épitaphe (texte tiré de ses mémoires, ce qui montre leur crédibilité !) sur sa tombe au cimetière de Tarbes,
on voit qu'il a tout oublié. Même, est-ce que ce qu'il a fait a existé ?
Les décrets du 1er août et du 1er octobre, les anathèmes contre les adversaires de la Révolution, les appels au crime, à la
guerre avec les états voisins, son enrichissement avec l'argent anglais. Il n'y a jamais eu de plainte contre lui car il en a supprimé les porteurs.
Il a montré à Madame de Staël ce qu'est un spécialiste de la communication pour lequel la recherche de la vérité n'est pas
l'essentiel. Dans son jeu, il faut quand même un aspect négatif pour prouver son honnêté et confirmer sa confession (terme un peu excessif pour un individu qui a toujours été très loin de la
religion catholique): Cet aspect: sera "faute morale".
Le télégraphe de Chappe n'étant fonctionnel
que par beau temps, les nouvelles et les réactions furent assez lentes à arriver. Mais que ce soit dans l'antichambre ou dans les journaux les réactions furent mitigées.
Il y a quand même une morale sans faute: Barère se fera "siphonner" toute sa fortune par les siens.
Il bénéficiera d'une gloire posthume. Un buste en bronze surplombe son caveau. Mêmes les oiseaux sont subjugués par ce
beau parleur ; pas une fiente sur cette sculpture. A moins que ce ne soit par crainte ?
Barère perdit son poste à la
Convention ; quand à Madame de Staël elle continua ses entretiens et ses écrits. Mais elle fut exilée par Bonaparte qui la taxait de "redoutable intrigante".
Ainsi va la vie !
Toute ressemblance avec des faits contemporains serait fortuite.