LIBERATION CARCERALE
Chaque jour, «Libération» part à la rencontre de personnalités hors normes. Et aussi: quiz, la BD de l'été...
[Bandes à part] . Tout l’été, «Libération» baguenaude dans des groupes à la marge. Aujourd’hui, Jésus le rabat-joie et son gang de douze losers.
Heureusement que la Bible 1 a fait un tabac, sinon on n’aurait jamais eu la Bible 2 et il y aurait un drôle de zigoto dont on n’aurait jamais entendu parler, ni de lui ni de ses copains (enfin, copains, c’est lui qui le disait). Mais de qui se moque-t-on ? Mais de Jésus, le premier-né de la famille Christ. Sur sa mère, on sait peu de chose, à peine les bobards plus extravagants les uns que les autres qu’il colportait : que, loin d’être un fils de pute, il était un fils de vierge, et les autres, lalalère, qui peut en dire autant ? Son père était petit commerçant, plus exactement artisan, et joignait les deux bouts de planches à la va-comme-je-te-pousse. Frères et sœurs, cousins et cousines, parrains et marraines, tout ça est passé à la trappe. Il n’y en avait que pour le petit Jésus, qui a cependant rapidement atteint l’âge de 33 ans. Tous les défauts que par la suite on prêtera aux Séfarades étaient déjà en lui. Moi-je, moi-je, en vérité je vous le dis et blablabla. Il aurait eu tort de s’en priver puisque, comme dit Boileau (il est vrai dans un autre contexte), «un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire». C’est par douzaine que les sots se sont déversés sur lui.
Parlons-en, du caïd et de sa bande ; c’est August Strindberg qui fait ça le mieux (le 23 juillet 1894, ça va faire bientôt 117 ans) : «Et Jésus, ce minable ! Jamais seul, car, à la différence de Jean-Baptiste, il ne supportait pas la solitude. Il lui fallait de la compagnie - et quelle compagnie ! Pas un seul homme de talent parmi ces misérables ; à l’exception de Paul, qui ne voulait pas le fréquenter, et Jésus l’a fui/ Jésus = la classe inférieure, l’ami des imbéciles, des pauvres d’esprit, des bons à rien.» Comme c’est justement exposé. C’est que Jésus savait ce qu’il faisait, le bougre, quand il promettait son royaume des dieux (ou des cieux ? Des vieux ? Des pieux?) à tous les crétins. Et pas aux crétines. La parité, il s’en contretamponnait - toutes celles-là, bonnes qu’à faire les gosses sans niquer ou la Marie-Madeleine. Bravo les mecs.
Ses copains, ce n’était pas Kevin et Brandon, comme tout le monde, mais Pierre, Paul, Marc, Jean, Luc, Matthieu et les autres. Le seul prénom un peu sexy là-dedans, c’est Judas et, naturellement entre eux deux, ça ne l’a pas fait (lire ci-contre). Un des charmes de Judas, c’est que, grâce à lui, on a pu connaître objectivement la valeur de Jésus : trente roupies TTC. Ou trente deniers. En ce temps-là, le système monétaire international était plus proche des vrais gens. Mais ce serait faire preuve de mauvaise foi que prétendre qu’aucun de ses copains n’aurait pu apporter quelque chose à Jésus, si seulement il avait daigné les écouter, ce monsieur je-sais-tout, fils de Dieu ou de je-ne-sais-qui. Par exemple, on ne peut nier qu’il avait un talent de prestidigitateur et d’hypnotiseur pire que Majax. Comme dans Coke en stock (on voit que monsieur avait déjà pompé Tintin), on lui donne un verre d’eau et crac, c’est du vin (et recrac, c’est du sang, il y avait diverses raisons pour ne pas vouloir partager un repas avec lui). Mais ses copains, ils disaient : «Et pourquoi pas du champagne ? Et pourquoi pas du caviar au lieu des petits pains ?» Car Jésus multipliait tout ce qui bouge, comme ça, comme on marche sur les eaux, comme on ressuscite les morts, comme on tchatche avec Satan, comme on laisse publier des versions plus contradictoires les unes que les autres de sa propre vie. Mais le braquage de la Banque centrale de Jérusalem, jamais. Pas de couilles, trouvaient les apôtres (et, de fait, au cours des millénaires suivants, aucun illuminé n’est venu nous dire «Jésus, c’était mon papa»).
Au mépris de toutes les valeurs judéo-chrétiennes qui forment le socle de notre magnifique civilisation que le monde aurait tendance à de moins en moins nous envier, Jésus est le premier à avoir dit officiellement : «Laissez venir à moi les petits enfants.» De ce point de vue, il est le précurseur du Joueur de flûte de Hamelin (et les enfants, catégorie de population toujours portée aux nues, se sont pourtant révélés moins balèzes que Jésus quand il s’est agi de marcher sur l’eau). Mais ce sont surtout tous les prêtres pédophiles qui, en respectant scrupuleusement son enseignement, se sont mis dans une situation délicate. A se demander si, aujourd’hui, les bureaucrates du Vatican ne seraient pas prêts à apporter des retouches au livre des bons mots de Jésus pour être plus en accord avec l’air du temps. Et encore, on ne vous parle pas de «Aimez-vous les uns des autres» qu’on a ressorti en 1968 et qu’on a envoyé se recoucher juste après.
La vie, certes, n’a pas toujours été facile pour Jésus. Les tentations se sont abattues sur lui par centaines, souvent suscitées par sa bande. «Vous vous rappelez le soir où Jean-Baptiste a déboulé avec ses treize putes topless ? Et le jour où Pierre a voulu qu’on multiplie son gramme de coke ? Et quand Luc a voulu qu’on se prenne tous les auto-stoppeurs en short bavarois moulant ?» Et le soir de la Cène ? Tout le monde était peinard et l’autre, comme d’hab, casse l’ambiance pour foutre sa merde. On s’amusait, on racontait des blagues, et voilà qu’à juste bouffer du pain et boire du vin, on part dans des délires d’acide, comme quoi son sang, son corps, il n’y en a encore que pour lui. Que celui qui n’a jamais été agacé par ce genre de rabat-joie jette la première miche à Judas. Là-dessus, on connaît la suite : serré par les Romains, chemin de croix, c’est le cas de le dire, crucification (c’est bien comme ça qu’on dit ?) et tout le toutim.
D’après les Monty Python, exégètes de référence du XXe siècle, on a beaucoup exagéré les inconvénients de ce supplice, du moins pour la victime. Une source proche du dossier a en outre confié à Libération qu’autour du tombeau du petit Jésus à son papa («- Pourquoi m’as-tu abandonné ? - Non mais t’as vu ta gueule»), les langues se sont enfin déliées. Paul : «Va te faire voir dans ton royaume.» François-Régis (que ses copains n’aimaient pas et que, selon la pratique stalinienne, la Guépéou de l’époque a effacé des dialogues) : «On se la pète moins, maintenant, hein ?»