CATHÉDRALE DE NANTES. DANS LE MALHEUR, UN RECONFORT
L'incendie qui a frappé la cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de Nantes en début de la matinée du samedi 18 juillet a permis d'entendre ou de lire de nombreuses réflexions de "personnes autorisées". Parmi les plus sensées celles de Marie-Thérèse Jehan organiste titulaire (émue aux larmes) et Michel Bourcier, organiste titulaire parlant de cet instrument non pas comme d'un simple meuble mais d'un complice de leur art musical ; ou la douleur de Nicolas, brillant élève de l'abbé Félix Moreau (1922-2019 Grand Titulaire puis honoraire), qui a eu plusieurs fois l'occasion de tenir les claviers alors qu'il avait à peine plus de 20 ans et en parle comme d'un être cher. Ces organistes entretenaient une relation quasi humaine avec cet assemblage de bois, d'étain dont les quatre claviers et le pédalier, sous leurs doigts et leurs pieds, donnaient de la voix aux 5500 tuyaux répartis en 74 jeux. Il n'en reste rien. Il avait jusque là échappé à toutes les vicissitudes de l'Histoire en particulier celles de la révolution grâce à Denis Joubert qui avait souligné l'importance de la musique en jouant une vigoureuse marseillaise ; la cathédrale était devenue le temple de la déesse raison puis le temple de l'Etre Suprême décrété par robespierre
L'orgue de chœur a été, lui aussi, victime de ce qui ressemble bien à une folie criminelle : la console aux trois claviers dans leur meuble en chêne de style néogothique a totalement disparu. Il n'en reste que quelques cendres et débris. Si le Grand'orgue défunt avait été construit par François-Henri Clicquot ( sa famille est cousine de celle des champagnes) et avait été entretenu ou modifié par le Facteur d'orgue nantais Louis Debierre, l'orgue de chœur était son enfant de 22 jeux que son petit-fils Joseph Beuchet porta, en 1945, à 31 jeux et 2.400 tuyaux.
Lors de certaines Grand-messes, lorsque la Liturgie le permettait, des séquences musicales étaient échangées entre l'organiste du Grand'orgue et l'organiste de chœur, entre le Grand'orgue et l'orgue de chœur ; transposons, entre le grand-père (Debierre) et le petit-fils (Beuchet) ? C'en est fini maintenant.
Si Alphonse de Lamartine posait la question "Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?" la question ne se pose guère pour un orgue qui n'est inanimé que le temps où il n'est pas réveillé par ses grands soufflets qui emmagasinent l'air qui sera libéré par les doigts agiles de l'organiste dans les divers tuyaux en bois ou métal donnant des mélodies aptes à élever l’âme. Établissant ainsi un dialogue entre lui et l'auditeur. L'orgue a une âme qui s'attache à la nôtre.
C'est donc ainsi une façon de répondre à la sottise de la réflexion de la maire de Nantes, Johanna Rolland qui affirmait, quelques heures après le drame, "la situation ne peut pas être comparée à l'incendie du 29 janvier 1972" (Ouest-France 18 07 2020) (en réalité le 28 janvier) confondant une destruction d'un élément resconstructible et la disparition corps et âme du Grand'orgue. On peut reconstruire une partie d'architecture comme cela a été fait pour la toiture anéantie en 1972 ; on construira un nouvel orgue mais on ne peut reconstruire celui qui a disparu à jamais.
L'autre stupidité était sur Facebook où une internaute écrivait : "pas de dégâts importants sauf l'orgue". Sous entendu "ça aurait pu être pire" alors que le pire était causé.
Enfin, dans le malheur un réconfort. En construisant son orgue de chœur M. Debierre l'avait, grâce aux transmissions électriques de la console, séparé du buffet. Classé monument historique en 1987 il fut l'objet d'une révision par le Facteur d'orgue Renaud qui intégra la console au buffet. L'inauguration eut lieu en novembre 1993. En 2013 l'évêque, Mgr James, décide un réaménagement du chœur (autel définitif dos à Dieu au lieu du coffre en bois, ambons, cathèdre) dont le positionnement de la maîtrise. Ce qui entraîne une modification de l'orgue dont la console est séparée du buffet de deux mètres à peu près. Grâce à cette décision le buffet de M. Debierre a été sauvé sinon il aurait disparu avec la console totalement annihilée. C'est un petit réconfort.
Le 25 mai 1800 l'explosion de la tour des Espagnols du château de Nantes causa la destruction de la presque totalité des vitraux. Auparavant la révolution s'était chargée d'en détruire quelques uns. Il y eut ensuite les bombardements des libérateurs américains en septembre 1943 et celui du 15 juin 1944 qui vit la destruction de la sacristie, de la chapelle Notre Dame de Pitié (chapelle du Saint Sacrement), de la chapelle Saint Vincent de Paul et de la chapelle Sainte Anne. Puis il y eut l'incendie de toute la toiture le 28 janvier 1972. Des siècles passés il ne restait donc que des éléments XVè-XVIè siècles dus au Maître-verrier Jehan de La Chasse ; ils avaient été intégrés dans le grand vitrail derrière l'orgue. Ils ont disparu dans l'incendie. Il ne reste donc plus rien des vitraux d'origine de la cathédrale. Un livre d'histoire s'est donc fermé le 18 juillet.
Le suspect, rwandais sans papiers, accueilli par le Père Champenois, archiprêtre, qui lui avait confié les clefs de la cathédrale et l'avait chargé de la fermeture des portes (aucune effraction n'ayant été constatée), longuement interrogé par les policiers, est ressorti libre dimanche après-midi.
Trois points de départs de feu ont été repérés par les enquêteurs impliquant d'éventuels court-circuits. Un, peut-être, trois : non. Enfin il faudra nous expliquer comment du bois de chêne et de châtaignier, ayant plus de quatre cents ans d'âge, brûle avec une telle facilité en dégageant une belle fumée noire.