ABBÉ MATTHIEU de GRUCHY, 23 NOVEMBRE 1797...
En ce jeudi 23 novembre 1797, il y a exactement 220 ans jour pour jour, malgré les mises en garde de son entourage Matthieu (ou Mathieu) de Gruchy se rend à la Municipalité de Nantes afin de faire viser son passeport de 1792 qui le dit Anglais et menuisier pour rentrer chez sa mère à Jersey. Muni de cette pièce il pense pouvoir circuler librement et rejoindre son pays natal pour y vivre en dehors de toute persécution et s'attacher à convertir sa maman et ses sœurs.
Il présenta son passeport qui fut visé sans difficulté. Las, un officier municipal, prêtre renégat, le reconnut : "Vous êtes Mathieu Gruchy, prêtre et prêtre rentré ; la loi vous condamne à mort " ! Le pseudo menuisier lui répondit avec douceur : "A la bonne heure".
Existence hors du commun que celle de ce jeune corsaire anglais, né calviniste à Jersey le 31 Août 1761, qui combattit contre la France. Marin à l’âge de 17 ans pendant la guerre entre la France et l’Angleterre il fut fait prisonnier par une escadre commandée par l’amiral du Chaffault (mort à la prison de Luzançay à Nantes le 27 juin 1794) ; interné d’abord à Dinan puis à Fougères, il fut conduit à Angers en 1780 et employé dans un hôpital militaire comme interprète car il parlait aussi le français. Sous l’influence des Sœurs de Saint Vincent de Paul qui tenaient l’hôpital, il abjura l’hérésie protestante et se convertit au catholicisme. Il fit sa première communion le 23 juillet 1780 à 19 ans.
Accablé par ses compatriotes anglais protestants qui le persécutaient à cause de sa conversion il résolut de s’évader. Devenu hors-la-loi, il erra dans le sud de l’Anjou jusqu’à l’amnistie promulguée le 3 septembre 1783, lors du Traité de Versailles, qui le rendit libre.
Il apprit le métier de menuisier de monsieur Leroy en la paroisse de Trémentines.
A la fin de ses deux ans d’apprentissage il commença ses études ecclésiastiques et fut ordonné prêtre le Samedi Saint de 1788 par Monseigneur de Mercy en la cathédrale de Luçon (il avait reçu le diaconat huit jours plus tôt !) ; il pensait pouvoir porter la Vraie Foi en son île de Jersey et particulièrement à sa mère et à ses sœurs demeurées protestantes.
Nommé Vicaire à Soullans en 1789, puis à Bois de Céné, on le retrouve à Beauvoir en 1790 où la révolution le surprend. Ayant refusé le Serment à la Constitution il devient à nouveau un Hors-la-loi. Périlleusement il exerce son ministère de façon clandestine au Boistissandeau et Ardelay. Il décida de rentrer à Jersey pour convertir sa famille au catholicisme. Il mena une vie difficile et mouvementée due aux événements politiques et à ses vaines tentatives de rapprochement avec sa famille qui ne lui pardonna jamais sa conversion.
Parti en Angleterre il revint en France lors du débarquement de Carnac le 27 juin 1795, accompagnant l’abbé de Beauregard. Après moult péripéties il fut envoyé avec monsieur de Kersabiec et l’abbé de Beauregard auprès de Charette pour lui annoncer l’expédition de Carnac et où ils apprirent l’échec de Quiberon.
Alors, il alla à Venansault pour remplir son devoir de prêtre. Les prêtres continuaient à mourir sur les pontons de Rochefort, à l’Ile de Ré, à l’Ile d’Aix, en Guyane, mais il y avait un certain relâchement dans la persécution religieuse dans cette période curieuse où le ministère catholique semblait être toléré lors de la pacification réalisée par Hoche après l’exécution de Charette.
Mathieu de Gruchy aurait même reçu audience de Hoche qui l’invitait à continuer sans crainte son ministère religieux ! Mais le sort des réfractaires restait précaire. Le Directoire insistait pour qu’ils soient traqués car ‘’conspirateurs’’.
En septembre 1797, en mauvaise santé, il résolut de se rendre à Jersey où il pourrait vivre libre, travaillant au salut des siens.
Ce soir du jeudi 23 novembre 1797, l'abbé Mathieu de Gruchy passe sa première nuit dans la prison du Bouffay.
L'église de Saint Mars La Réorthe conserve la chaire qu'il construisit lors de son stage de menuisier.
A suivre...Sur le Blog et plus complet dans La Revue du SCB de décembre.