ORANGE, Vaucluse, LES CARNAGIES de juillet 1794....
Dans le théâtre antique où se déroulent des spectacles musicaux et chorégraphiques (les Chorégies), parfois de bon goût, ont été entassés il y a 220 ans non pas des spectateurs mais de pauvres victimes de la révolution. De là 332 seront extraites pour être remises entre les mains du bourreau.
Là où se dresse le théâtre municipal, trois cent trente deux fois le couperet a tranché une vie ; là se sont écoulés 1500 litres de sang humain.
La commission populaire qui siège à Orange a été créée par le Comité de Salut Public et Robespierre le 21 floréal (10 mai) an II de la république, avec pour mission de juger les ennemis de la Révolution suivant "la seule conscience" des juges.
Étienne Christophe Maignet, avocat et député du Puy-de-Dôme, représentant de la Convention nationale, né à Ambert le 9 juillet 1758, a participé à la terrible répression de l’insurrection de Lyon et à la "punition" de Bédoin. Il installe "son" tribunal, selon les derniers décrets de la Convention sans jurés et sans défenseurs, dans l’ex chapelle Saint Louis assez grande pour accueillir spectateurs, "juges" et inculpés-condamnés des départements du Vaucluse et des Bouches du Rhône. Pour remplir les geôles de ce "Tribunal" il suffisait de la dénonciation de deux citoyens.
Efficacité et Terreur !
A Avignon le Palais des Papes reçoit 1500 détenus : Prêtres, religieux, religieuses, parents d’émigrés ou de condamnés et …des filles publiques. Que de dangereux suspects !
A Orange, à partir du 6 mai jusqu’au 19 juin, 800 personnes sont arrêtées et incarcérées, dont les religieuses de Bollène, Pont-Saint-Esprit, Sisteron, Caderousse, Pernes.
Plusieurs édifices sont transformés en prison :
-Le Théâtre romain antique, prison du Cirque, antichambre de la mort,
-Le Tribunal et prison des femmes,
-Presbytère de la cathédrale, prison de la Cure,
-Eglise Saint Florent, prison des Cordeliers,
La guillotine est dressée à l’emplacement actuel du Théâtre municipal.
Le « Tribunal » d’Orange commence à "juger" dès le 19 juin ; il a été composé par Maignet de :
Jean Fauvety, Président, né en 1763 à Uzès, Protestant "au cœur d’acier".
Pierre-Michel-François Roman de Fonrosa, dit Roman-Fonrosa, né à Die (Drôme) le 8 mars 1733, avocat, juge de la commission.
Jean-Pierre Melleret, né à Étoile sur Rhône (Drôme le 25 septembre 1761, médecin, juge de la commission.
Gaspard Ragot, 42 ans, menuisier à Lyon, juge de la commission ; ivre, il dort durant les séances !
Joseph Fernesc, ouvrier en soie à Lyon, juge, inculte et sans pitié.
François-Charles-Gabriel-Léonard Viot, âgé de 28 ans, né à Charleville, ancien déserteur du régiment de Penthièvre-Dragons, accusateur public – dit le pourvoyeur de la guillotine - sabre à la main, il mène les condamnés du « Tribunal » à la prison du Cirque, antichambre de la guillotine. Là il les dépouille de leurs derniers biens.
Joseph-François Barjavel, homme de loi, né à Carpentras le 7 novembre 1764, conseil de l'accusateur public.
Claude Benêt, homme de loi natif d'Orange, 31 ans, greffier de la commission.
Eustache Nappier, né à Montreuil-l'Argillé le 15 mars 1751, huissier de la commission.
Claude Dubousquet fils, d'Avignon, 36 ans, commis de l'huissier adjoint.
Pierre-Nicolas Goubert, chirurgien-pédicure à Paris.
Joseph Teyssier.
Joseph-Marie-Victor-François Cottier-Julian, docteur en droit de Carpentras, 28 ans, secrétaire en chef de la commission.
Les directives du Comité de Salut Public données à Maignet le 18 mai 1794 sont claires :
«Les membres de la Commission établie à Orange sont nommés pour juger les ennemis de la Révolution. Les ennemis de la Révolution sont tous ceux qui par quelques moyens que ce soit, et de quelques dehors qu'ils se soient couverts, ont cherché à contrarier la marche de la Révolution. La peine due à ce crime est la mort. La preuve requise pour la condamnation sont tous les renseignements, de quelque nature qu'ils soient qui peuvent convaincre un homme raisonnable et ami de la liberté.»
Interdit par la Convention après la chute de Robespierre, le 4 août 1794, Ce « Tribunal » va prononcer, sur 595 comparutions, 147 acquittements, 116 peines de prison ou amendes, 332 condamnations à mort dont les 32 Religieuses (dont 13 de Bollène), guillotinées du 6 juillet au 26 juillet 1794, béatifiées par le Pape Pie XI le 10 mai 1925.Des prières sont dites pour qu'elles soient canonisées.
6 juillet. sœur Marie-Rose, 53 ans, bénédictine du couvent de Caderousse,
7 juillet. sœur Iphigénie de Saint-Matthieu, 32 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
9 juillet. sœur Sainte-Mélanie, 61 ans, ursuline du couvent de Bollène,
9 juillet. sœur des Anges, 39 ans, ursuline du couvent de Bollène,
10 juillet. sœur Sainte-Sophie, 36 ans, ursuline du couvent de Bollène,
10 juillet. sœur Agnès de Jésus, 44 ans, ursuline du couvent de Bollène,
11 juillet. sœur Sainte-Pélagie, 42 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
11 juillet. sœur Saint-Théotiste, 53 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
11 juillet. sœur Saint-Martin, 52 ans, sacramentine du couvent de Bollène,.
11 juillet, sœur Sainte-Sophie, 54 ans, ursuline du couvent du Pont-Saint-Esprit,
12 juillet. sœur Rose de Saint-Xavier, 48 ans, sœur converse du couvent de Bollène,
12 juillet. sœur du Bon Ange, 32 ans, converse sacramentine du couvent de Bollène,
12 juillet. sœur Saint-Henri, 48 ans, bernardine de l’abbaye Sainte Catherine d’Avignon,
12 juillet. sœur Saint-Bernard, 41 ans, ursuline du couvent du Pont-Saint-Esprit,
13 juillet. sœur Saint-Gervais, 45 ans, ursuline du couvent de Bollène,
13 juillet. sœur Saint-François, 52 ans, ursuline du couvent de Bollène,
13 juillet. sœur Sainte-Françoise, 38 ans, converse ursuline du couvent de Carpentras,
13 juillet. sœur Madeleine de la Mère de Dieu, 25 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
13 juillet. sœur de l'Annonciation, 24 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
13 juillet. sœur Saint-Alexis, 54 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
16 juillet. sœur Aimée de Jésus, 61 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
16 juillet. sœur Marie de Jésus, 36 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
16 juillet. sœur Saint-Joachim, 58 ans, converse sacramentine du couvent de Bollène,
16 juillet. sœur Saint-Michel, 55 ans, converse ursuline du couvent de Bollène,
16 juillet. sœur Saint-André, 65 ans, converse ursuline du couvent de Bollène,
16 juillet. sœur Madeleine du Saint-Sacrement, 51 ans, ursuline du couvent de Pernes,
16 juillet. sœur du Coeur de Marie, 40 ans, bernardine de l’abbaye Sainte Catherine d’Avignon,
26 juillet. sœur Saint-Augustin, 75 ans, sacramentine du couvent de Bollène,
26 juillet. sœur Catherine de Jésus, 70 ans, ursuline du couvent du Pont-Saint-Esprit,
26 juillet. sœur Saint-Basile, 61 ans, ursuline du couvent du Pont-Saint-Esprit,
26 juillet. sœur Claire de Sainte-Rosalie, 68 ans, ursuline du couvent de Bollène,
26 juillet. Mère du Coeur de Jésus, 58 ans, ursuline, Supérieure du couvent de Sisteron,
La Révérende Mère du Sacré-Cœur de Jésus savait-elle qu’elle serait la dernière exécutée de tous ces innocents ? Car en effet le lendemain, Robespierre tombait. La persécution religieuse marquera alors une pause avant de recommencer sous le Directoire.
Dépouillées de tous leurs maigres biens on leur avait laissé, de façon inexplicable, leurs croix et leurs chapelets qui ne leur furent enlevés qu’au départ pour l’échafaud.
Pendant toute leur détention, comme leurs Soeurs Carmélites de Compiègne (exécutées le 17 juillet à Paris), elles continuèrent de se plier à l’observance de leur Règle : lever à 5 heures, méditation, récitation de l’Office de la Sainte Vierge, Litanie des Saints, confession à haute voix, Communion de Désir puisque privées de prêtre ; lorsque les prisonniers étaient appelés pour le pseudo-jugement elles récitaient les prières de l’Extrême Onction, renouvelaient leurs Vœux.
Puis ensuite, lorsque les clameurs des assassins retentissaient, signalant l’ultime sacrifice, elles récitaient l’Office des morts.
Quelles furent les victimes ? D’après les registres de la Commission populaire :
Outre les 32 religieuses, 36 prêtres et religieux, 43 paysans, 13 cordonniers, 12 femmes, 11 soyeux, 3 cardeurs de laine, 6 orfèvres, 6 charpentiers, menuisiers ou charrons, 5 aubergistes, 5 tailleurs, 5 maçons, 3 boulangers, 3 Maréchaux-ferrants, 2 bouchers, 2 chapeliers, 2 cordiers, 2 meuniers, 2 selliers, 2 couturières, des fondeurs, foulonniers, messagers, pâtissiers, quincailliers, taillandiers, vanniers, relieurs, colporteurs, commis ou domestiques.
Quels souvenirs de ces massacres ?
-Des plaques sont apposées, discrètement, sur les édifices concernés. Un monument expiatoire fut construit en 1825 ; endommagé – comme par hasard – par la révolution de 1830 il sera rasé en 1848 – encore une révolution ; à son emplacement se dresse le théâtre municipal construit en 1882.
-Le site de recueillement de Gabet, au Nord Ouest d’Orange :
En effet, les corps des suppliciés furent ensevelis dans trois fosses au lieu dit le champ de Laplane.
Dès 1799, un nommé Pierre Millet se rendit acquéreur de la précieuse parcelle afin qu’elle ne soit jamais labourée. En 1832, il fit construire une chapelle sur l’emplacement de trois des quatre fosses utilisées (sur les sept creusées – Robespierre est tombé à temps !-). Une croix marqua l’emplacement de la quatrième où reposent une trentaine de suppliciés dont les dernières religieuses exécutées. Une nouvelle croix fut créée, réalisée et offerte par un artiste ferronnier de Sommières (Gard), Albert-Georges Augé. Cette croix, bénite en septembre 1997 a été posée à la mémoire du Père Yves-Marie Salem–Carrière, créateur du Souvenir Catholique en Languedoc.
Elle pèse 380 kg et mesure 4,30 m de haut pour 2,20 m de large, on distingue trois croix : Une blanche pour les enfants martyrs, une torsadée et dorée pour la Royauté, le Clergé, les Religieux martyrs, et, enfin, une de bronze torsadé qui représente l’Armée catholique du Midi, les victimes de toutes les guerres et tout le peuple martyr.
Après ces massacres que sont devenus les responsables ?
Étienne Christophe Maignet, représentant de la Convention nationale meurt à Ambert, son village natal le 22 octobre 1834. Inquiété après la chute de Robespierre, il va passer à travers les différents procès touchant les robespierristes, se cache jusqu'à l'amnistie générale que se votent les Conventionnels – on n’est jamais trop prudent ! – le 26 octobre 1795 et les différents épisodes. Il reprend son métier d'avocat à Ambert, où il acquiert l'estime de chacun. Condamné à l'exil par la loi contre les régicides sous la Restauration il se cache à Ambert. Sa fille adresse une demande en grâce à Louis XVIII signée par les prêtres de la ville dont le curé signe un certificat exaltant les qualités de Maignet (!!!) Son retour se fera sous Louis-Philippe. Il est accueilli par une femme qui lui demande : « As-tu amené ta guillotine avec toi ? ». Elu bâtonnier des avocats, il le demeure jusqu’à sa mort par attaque d’apoplexie, le 22 octobre 1834, à l’âge de 76 ans.Il est cité dans les célébrités locales de la ville d'Ambert dans le Puy de Dôme. Sa tombe (à peindre en rouge ?) est toujours visible dans le cimetière.
Jean Fauvety, Président sera guillotiné le 26 juin 1795 à Avignon.
Pierre Roman de Fonrosa, dit Roman-Fonrosa, juge, sera guillotiné le 26 juin 1795 à Avignon
Jean-Pierre Melleret, juge de la commission, sera guillotiné le 26 juin 1795 à Avignon
Gaspard Ragot, juge sera guillotiné le 26 juin 1795 à Avignon
Joseph Fernesc (ou Fernex), juge, sera exécuté par la foule, à Lyon le 14 février 1795.
François-Charles-Gabriel-Léonard Viot, accusateur public, sera guillotiné le 26 juin 1795 à Avignon (cela l’a-t-il fait s’esclaffer comme il le faisait devant ses victimes ?).
Joseph-François Barjavel, conseil de l'accusateur public sera guillotiné le 26 juin 1795 à Avignon.
Claude Benêt, greffier de la commission sera guillotiné le 26 juin 1795 à Avignon
Eustache Nappier, huissier de la commission, condamné le 26 juin 1795 à 12 ans de fer et à être préalablement exposé attaché à un poteau placé sur un échafaud, pendant six heures, sera poignardé par des inconnus pendant son exposition.
Claude Dubousquet, commis de l'huissier adjoint, acquitté le 26 juin 1795.
Pierre-Nicolas Goubert, mis hors de cause le 26 juin 1795.
Joseph Teyssier, mis hors de cause le 26 juin 1795.
Joseph-Marie-Victor-François Cottier-Julian (27 ans), secrétaire en chef de la commission ; jugé le 10 juillet 1795, condamné à 20 ans de fers et à six heures d'exposition. À sa demande, sa peine est relevée à 24 ans de fers pour éviter l'exposition, devant la menace qu'il soit assassiné comme Eustache Nappier. Le jugement est annulé l'année suivante, et il est libéré.
Les corps des condamnés furent jetés dans le Rhône par la foule qui était venue, de loin, assister à leur exécution. Conduite humainement compréhensible après tant de souffrances.
Que les 32 Bienheureuses veillent sur la France.
Sources partielles: Abbé Méritan + documentation SCB